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Dancing Queer

ateliers transpédégouines de Contact Improvisation

photo (c) Esther Genicot

Dancing queer [danser transpédégouine] est une série d’événements (ateliers, conférences, jams…) organisés par L’œil et la main autour d’une question : qu’est-ce qu’une approche transpédégouine, une approche qui questionne les genres et les sexualités, peut nous apprendre sur notre manière de danser ?

Et cette question se multiplie : peut-on inventer des gestes, ou ne fait-on jamais que piocher dans un catalogue donné de mouvements ceux qui viendront construire notre corps ? ce catalogue est-il genré et sexué ? est-ce que je danserais différemment si j’étais une femme ? un homme ? aucun des deux ou les deux à la fois ? qu’est-ce que cela change à mon corps et à mes possibilités motrices d’avoir des orientations envers certaines personnes ou certains genres ? le Contact Improvisation est une danse de l’orientation/désorientation, est-ce que ces désorientations sont aussi sexuelles ?

Première invitée (le 28 octobre 2018) : Antonija Livingstone (CAN/EUR)

Pour nous aider à compliquer ces questions, nous avons invité Antonija Livingstone, artiste, performeuse somactiviste, qui vit entre Montréal et Berlin et travaille à la frontière de la danse, du care et de la performance. Nous lui confions les clefs de ce laboratoire conçu comme un espace d’interrogation et de pratique autour du toucher et de ses possibles lectures transpédégouines

Antonija (Uncle Tony) Livingstone et son/sa partenaire de danse, Winnipeg Monbijou

Deuxième invitée (le 22 juin 2019) : Diana Thielen (GER)

Pour cette deuxième session, Diana Thielen, danseuse et activiste berlinoise, nous propose une plongée dans les outils féministes de déconstruction des genres et de leurs performances motrices. Contact_Cyborg_Consent Improvisation c’est le titre de son atelier, invite à utiliser le Contact Improvisation comme espace d’investigation des normes de genre : comment créer un espace qui embrasse à la fois les dimensions biographiques et intimes du corps, du genre, de l’identité et de la sexualité? comment prendre le temps d’inventer une micro-utopie où la vulnérabilité, l’empathie et le consentement aurait leur place?

Diana Thielen

Troisième invité (le 9 mai 2020) : Paul Singh (USA)

Pour cette troisième session, Paul Singh, danseur américain, nous propose un retour aux fondamentaux : apprendra à lire dans les pensées (et à se tromper), à suivre des règles (et à les oublier), et puis quelques compétences pour porter le poids, le voler ou l’offrir. Toutes ces choses qui sont en jeu dans une jam, qu’on s’apprend les un·es aux autres, et qu’on retire de nos rencontres pour s’apprendre à trouver/traduire le queer dans les humain·es, les animal·es et les danseur·euses, et tout ce qui se trouve entre elles.

Paul Singh

[Petites pré-définitions.]

(Comment traduire queer ?)

A l’oreille anglo-saxonne, queer signale une insulte employée, à partir du début du XXème siècle, pour désigner les sexualités jugées déviantes par rapport à l’ordre hétéropatriarcal. Il est en ce sens un équivalent de mots français comme « pédé » ou « gouine », mais sans distinction de genre ou de sexualité. Dans les années 1980 aux États-Unis, des groupes militants, tels que Queer Nation, se réapproprient l’insulte pour en faire un objet de lutte : « We are Queer! We are here! Get used to it! » Il s’agit ainsi de transformer l’accusation de déviance (vous n’êtes pas à votre place) en une affirmation de dissidence (nous ne voulons pas des places qui ont été distribuées), une manière de contester l’hétérosexisme du système sexe-genre-sexualité et les frontières nettes qu’il trace entre le droit chemin de l’hétérosexualité (straight) et les autres sexualités conçues comme aberrantes (queer).

Plus encore, ce que les queer contestent, ce n’est pas seulement le binarisme hétéro/homo, c’est aussi la catégorisation et la normalisation (voire l’hétéronormalisation) des minorités sexuelles, sagement organisées et labellisées (parfois par le pouvoir médico-psychiatrique) en L, G, B, T, (+) : lesbiennes, gays, bi, trans (auxquels s’est certes ajoutée depuis une prolifération désordonnée de questionning, intersexes, asex, demisexuel·les, pansexuel·les, omnisexuel·les, non-binaires, gender-fluid, etc.). Les queer contestent ces rangements et se demandent : qu’est-ce qu’on peut être/faire d’autre par rapport à ce ce que l’hétéropatriarcat attend de nous ? (L’une des stratégies queer ayant justement consisté à démultiplier les sexualités et les genres, plutôt que de laisser les altersexualités être capturées dans le dispositif binaire sur lequel repose encore le vocabulaire LGBT).

Cependant, depuis les années 2000 au moins, le terme queer s’est largement popularisé, internationalisé, et par là-même, dépolitisé. Dans la langue française notamment, où le mot « queer » est souvent repris sans traduction, il connote plutôt le chic et le glamour d’une transgression esthétique à peu de frais—d’autant moins engagée que la consonance américaine exotise et masque, pour la plupart des locuteur·ice·s, l’insulte et la violence à laquelle il se réfère. C’est pourquoi, suivant la même logique qui avait fait naître les militances queer dans les années 1990 aux États-Unis, certain·e·s militant·e·s francophones ont proposé de lui substituer les néologismes « allosexuel·le » (relativement neutre et descriptif), « transpédégouine », « torduE » ou plus rarement « déviant·es » (qui tous trois maintiennent le geste de reprise ironique de l’insulte)—quatre termes qui visent à éviter les récupérations commerciales de la dissidence sexuelle

(Qu’est-ce que les études transpédégouines et le queer a avoir avec la danse ?)

Le queer a quelque chose en commun avec la danse : l’une comme l’autre, elles visent à affiner voire à augmenter les possibilités du corps en mouvement en relation à d’autres corps. Ainsi, de même que queer, je m’autorise à toucher les corps à partir d’autres genres que mon genre d’assignation ou à entrer en contact avec eux sur un autre mode que genré ou sexuel, de même dans la danse j’apprends à faire des gestes qui parfois relèvent d’autres genres que le mien.

Danseur-euse ou queer, je performe des identités multiples, qui sont autant de manières de subvertir les figures de la domination, de l’homme sur la femme, du blanc sur le noir, des humains sur les autres vivants et sur la matière.

(Qu’est-ce que ça a à voir avec le Contact Improvisation ?)

Nous n’avons, quant à ce dernier point, que des questions (que nous empruntons à plusieurs théoricien-nes : Paul B. Preciado, Sara Ahmed, Kristin Horrigan, Kathleen Rea, Keith Hennessy…) :

Le Contact Improvisation est-il transpédégouine ?

Le Contact Improvisation suspend-il les genres en autorisant des hommes à être tendres et doux les uns avec les autres ? En permettant aux femmes de porter les hommes ? En désexualisant les parties érogènes du corps ?

Ou bien le Contact Improvisation autorise-t-il certains hommes à être encore plus machos, encore plus sûrs de leur masculinité hétéro ? Et malgré l’insistance sur l’idée que le Contact Improvisation n’est pas genré et que les femmes peuvent porter les hommes, pourquoi voit-on autant d’hommes hétéros, dans les jams, passer leur temps à porter des femmes ?

Pourquoi les contacteurs hétéros sont-ils incapables d’entendre que la jam a tous les aspects d’un lieu hétéro voire hétéronormatif aux yeux de certain-es danseuses trans ou queer ?

Le féminisme et les mouvements de luttes pour les droits des trans, des pédés et des gouines, ont-ils influencé le Contact Improvisation ? Est-ce que cela changerait quelque chose à la danse de créer des jams réservées aux femmes, ou aux hommes, ou aux trans-pédé-gouines ?

Est-ce que le Contact Improvisation invente d’autres manières d’être intimes en dehors de la sexualité classique ? Est-ce qu’on pourrait dire que le Contact Improvisation est une sorte de sexualité queer ?

Et pour aller plus loin

Un article de Jérémy Damian, «Quand mon doigt par mégarde. Paraphilie et danse Contact Improvisation« , dans la revue Terrain : lecture en ligne ici

Respect des limites / coexistence des genres. Expériences de femmes et sentiments d’insécurité dans le Contact Improvisation, un zine rassemblant des témoignages (traduits du canadien) sur la question du consentement : lecture en ligne là

Marie-Émilie Lorenzi, « ‘‘Queer’’, ‘‘transpédégouine’’, ‘‘torduEs’’, entre adaptation et réappropriation, les dynamiques de traduction au cœur des créations langagières de l’activisme féministe queer », GLAD! [En ligne], 02 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 18 décembre 2019. URL : https://www.revue-glad.org/462

Quelques exemples de décalements du Contact Improvisation…

Fred Holland & Ishmael Houston-Jones, at Danspace Project,NYC, 1983. Contact At 2nd & 10th, Videographer: Cathy Weis

Ishamel Houston-Jones et Fred Holland, Manifeste pour un Contact Improvisation de travers (Wrong Contact Manifesto), 1983

Nous sommes noirs.
Nous porterons des vêtements de rue (et non des joggings).
Nous porterons des docks: Fred des chaussures de chantier / Ishmael, des bottes militaires.
Nous nous parlerons en dansant.
Nous enverrons chier le flux, nous nous interromprons l’un l’autre.
Nous utiliserons de la musique enregistrée, des sons extraits de films de Kung Fu montés en boucle par Mark Allen Larson.
Nous éviterons le contact physique la plupart du temps.

Keith Hennessy pose la question de l’inclusivité du Contact Improvisation à Nancy Stark Smith (2013)